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Que recouvre l’expression « nouvel ordre mondial » et pourquoi suscite-t-elle tant de fantasmes ?

Dans un discours devant des chefs d’entreprise, le président Joe Biden a exhorté les Etats-Unis à dominer le « new world order », dans le texte. Une déclaration interprétée comme un aveu pour les sphères conspirationnistes.

« Nouvel ordre mondial » : ces trois mots, prononcés lundi 21 mars par Joe Biden dans un discours, ont provoqué l’émoi dans plusieurs communautés conspirationnistes en ligne, qui y voient la confirmation d’une très ancienne théorie du complot. « C’est le moment où les choses changent. Il va y avoir un nouvel ordre mondial et nous devons le diriger », a déclaré le président des Etats-Unis devant un parterre de chefs d’entreprise.

« Ça fait des mois qu’on vous le dit, ouvrez les yeux sur cette bande organisée qui nous prend en otage ! Ajoutez à ça Biden qui déclare ouvertement que le #nouvelordremondial c’est maintenant… Mais qu’est-ce qu’il vous faut de plus pour vous soulever b****l ! », s’insurge un internaute. « Biden nous annonce aujourd’hui que le “Nouvel Ordre Mondial” commence ! Je pensais que c’était une théorie du complot d’extrême droite, ça ? En tout cas, va falloir qu’on se batte contre tous ces pourris, ils sont démasqués et ils ne se cachent plus ! », commente un autre.

Cette interprétation a été reprise par Florian Philippot, président des Patriotes et ancien vice-président du Front national (devenu depuis le Rassemblement national), désormais soutien de Nicolas Dupont-Aignan. « Au moins les choses sont claires ! Battons-nous pour nos libertés et la souveraineté des peuples », a t’il exhorté, comme si ce « nouvel ordre mondial » était une promesse d’asservissement. Mais de quoi parle-t-il vraiment ?

La théorie du « Nouvel Ordre Mondial » (NOM, ou NWO, de l’anglais new world order), reconnaissable à sa graphie évocatrice, avec les trois mots comportant une majuscule initiale, suppute l’existence d’une coalition occulte qui ourdirait un plan pour instaurer une nouvelle forme mondiale de gouvernance. Elle est souvent associée à un plan des « mondialistes », qui œuvreraient à la dissolution des nations et de la souveraineté des peuples.

Dans sa version la plus éthérée, le NOM renvoie soit à un gouvernement planétaire totalitaire qui bénéficierait à une élite cachée (francs-maçons, Illuminati voire, dans ses déclinaisons les plus extrêmes, extraterrestres), soit à cette élite malfaisante elle-même.

Afin de renforcer la croyance en une entité précise et un plan machiavélique, la littérature conspirationniste lui oppose des résistants héroïques et des alliés diabolisés. Ainsi, plusieurs publications complotistes relatent que « la Russie s’est libérée des griffes du Nouvel Ordre Mondial » ou l’associent à d’autres théories du complot, comme celle du « Great Reset » (« grande réinitialisation »), et présentent Vladimir Poutine comme leur principal opposant.

Les rumeurs s’appuient sur trois types d’éléments factuels.

  • L’existence d’institutions supraétatiques, comme l’Organisation des Nations unies, l’Organisation mondiale de la santé ou le Fonds monétaire international, accusées de défendre une vision américanocentrée, mondialisée et hostile à la souveraineté des nations.
  • L’existence de groupes de discussion privés entre leaders internationaux, souvent peu transparents, comme le Forum de Davos, la commission trilatérale ou encore le groupe Bilderberg, dont le fonctionnement opaque et peu démocratique peut faire l’objet de critiques légitimes, mais suscite de nombreux fantasmes.
  • L’occurrence dans le discours de certains chefs d’Etat de l’expression « nouvel ordre mondial », comme George H. W. Bush en 1990, Nicolas Sarkozy en 2009 ou Joe Biden en 2022. Peu importe le contexte et le contenu du discours, elle est perçue comme une preuve de la réalité d’un plan expliquant tous les événements internationaux.

Ces mots sont généralement prononcés dans des contextes de crise économique ou de guerre, événements qui amènent à des bouleversements dans les équilibres géopolitiques de la planète.

En 1990, la pax americana (« paix américaine »). Le terme s’impose dans les relations internationales pour désigner le monde d’après la guerre froide. Le 11 septembre 1990, devant le Congrès, pour justifier l’intervention en Irak, George Bush déclare ainsi :

« La crise dans le golfe Persique, aussi grave soit-elle, offre aussi une occasion rare d’aller vers une période de coopération historique. De ces moments troubles, notre cinquième objectif, un nouvel ordre mondial, peut émerger : une nouvelle ère, libérée de la menace de la terreur, plus forte dans la poursuite de la justice, et plus sûre dans la recherche de la paix. Une ère dans laquelle les nations du monde, Est et Ouest, Nord et Sud, peuvent proposer et vivre en harmonie. »

Il a alors un sens très proche de pax americana : avec l’effondrement du bloc soviétique s’ouvre une ère qui doit être marquée par la paix, la coopération internationale et la diffusion du modèle américain.

En 2009, l’après-Lehman Brothers. Presque dix-neuf ans plus tard, le président français Nicolas Sarkozy déclare : « 2009 peut être l’année de naissance d’un nouveau capitalisme, d’un nouvel ordre mondial, une année de progrès décisifs vers la paix. (…) On ira ensemble vers ce nouvel ordre mondial et personne, je dis bien personne, ne pourra s’y opposer. »

Le contexte comme l’enjeu sont très différents : le président français s’exprime au lendemain de la crise économique de 2008 et vise les défaillances du système de régulation bancaire, qui ne l’ont pas empêchée. Ces promesses de nouvel ordre mondial peuvent toutefois relever de la communication politique davantage que de la réalité.

En 2022, le retour de la division Est-Ouest. La déclaration récente de M. Biden s’inscrit dans le contexte de la guerre menée par la Russie en Ukraine. Dressant un parallèle avec 1946, date de la conférence de Yalta et de la partition du monde en deux grands blocs rivaux, M. Biden appelle à « unir le reste du monde libre » derrière les Etats-Unis.

William Audureau

Source : Lemonde.fr

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