Le Samu social de Paris, au-delà de l’urgence France Politique Société by info.elyon.fr - 9 janvier 201613 février 20160 Géré par le Samu social de Paris, le centre d’hébergement d’urgence Romain-Rolland offre chaque jour un toit, mais aussi des services sociaux à 93 hommes et femmes qui étaient à la rue. Serge, trente-cinq ans de rue, a participé à l’aménagement du jardin du centre d’hébergement d’urgence Romain-Rolland (à Paris) après son inauguration, en 2014. 8 H 05, CAFÉ OU CHOCOLAT « Café ou chocolat ? », propose Rosita, l’agente de restauration, derrière son comptoir. « Café au lait », répond Myriam. La jeune femme vient de descendre au réfectoire du centre d’hébergement d’urgence (CHU) Romain-Rolland. D’habitude, elle dort dans des hôtels « pas chers », des parkings ou carrément dehors, protégée par un simple duvet. Là, elle a passé la nuit dans cet établissement géré par le Samu social de Paris. « C’est bien, souligne-t-elle. C’est calme et cela a été rénové il n’y a pas longtemps. » L’entrée de l’immeuble de six étages se trouve dans le 14e arrondissement de la capitale, boulevard Romain-Rolland, mais le bâtiment se situe dans la commune voisine de Montrouge (Hauts-de-Seine). Cette version « 4 étoiles » de l’accueil pour sans-abri a été inaugurée en juin 2014. À la rue depuis trois ans, Myriam prend son petit déjeuner dans la cantine du centre d’hébergement d’urgence. Une camionnette du Samu social l’y a déposée la veille au soir, après une dispute avec son compagnon. Ici, pas de dortoir. Les 93 places sont réparties en chambres simples ou doubles, certaines ont été conçues pour recevoir des animaux et disposent d’une salle de bains, les parties communes sont propres et claires, des services (laverie, consigne, vestiaires…) sont intégrés. Les femmes – 25 places leur ont été attribuées, mais le lieu n’accueille ni familles, ni enfants – ont leur propre ascenseur et leur secteur réservé, séparé de celui des hommes par des digicodes. À la rue depuis trois ans, Myriam y est déjà venue plusieurs fois « pour récupérer ». Hier soir, après s’être « pris la tête » avec son compagnon, elle a hélé une maraude, une camionnette du Samu social, qui l’a accompagnée. 8 H 40, QUAND MYRIAM RENCONTRE MARTINE Myriam interrompt son récit pour saluer une connaissance. « Cela fait plaisir de te voir ! », lui lance-t-elle. Les deux femmes se sont rencontrées « en galère », dans les locaux d’une association. Elles ne s’étaient pas croisées depuis un an et demi. Martine, âgée de 53 ans, relève d’une autre catégorie de personnes hébergées au CHU. Elle est ici en « continuité », selon la terminologie officielle. C’est la particularité de cet établissement. Il accueille à la fois des sans-abri pour une nuit et d’autres pour des séjours de longue durée, afin de les aider à se stabiliser avant de leur proposer une solution pérenne. Quarante-quatre chambres individuelles, aux trois derniers étages, leur sont destinées. Martine en occupe une depuis six mois. « À un moment donné, je suis sortie des rails, explique-t-elle en souriant. Maintenant, j’espère y revenir. » Martine, résidente depuis six mois, dans sa chambre. 9 H 50, SERGE PREND L’AIR Le centre a été édifié à la place d’une résidence de la gendarmerie nationale, dont il reste la façade et les écuries. La cour, elle, s’est transformée en jardin. Serge y prend l’air. Il a trente-cinq ans de rue derrière lui et a travaillé à aménager cet espace vert. Il en parle avec fierté : « En tant que SDF, il faut avoir une occupation. Sinon, vous galérez toute la journée. » Le CHU propose aussi un atelier d’écriture, l’accès à Internet, une mini-salle de sport et une bibliothèque. 11 HEURES, L’HEURE DE PARTIR Habillé de son gilet bleu, Stéphane, un des animateurs chargés de l’accueil, rappelle la consigne. Ceux qui sont arrivés la veille, juste pour une nuit, doivent partir. Les autres sont priés de remonter dans leur chambre ou de sortir, mais de ne pas traîner dans le hall. « Pour éviter les tensions avec ceux qui ne comprennent pas pourquoicertains peuvent rester », explique le salarié du Samu social. Les départs se font dans le calme. Parmi les partants, Henri. Ce septuagénaire raconte avoir été enseignant et journaliste au Canada. Depuis trois mois, il n’a plus de chez lui. « Je suis encore un peu jeune dans cette nouvelle existence, où votre quotidien n’est fait que d’imprévus, philosophe-t-il. Je me demande comment des gens arrivent à résister. » Serge, trente-cinq ans de rue derrière lui, quitte le centre où il a été hébergé pour la nuit. 12 HEURES, LE DÉBRIEFING DE L’ÉQUIPE DE JOUR Comme chaque midi, l’équipe de jour se réunit dans la salle de télévision. C’est l’occasion d’échanger des informations, de la gestion de l’alcoolisme de l’un au signalement d’un robinet d’eau froide qui fuit dans la chambre de l’autre. Autour de Quentin, le responsable adjoint du CHU, il y a trois animateurs, Mathieu, Javier et Farouk, et deux conseillers sociaux, Pascale et Alexandre. Avant de consacrer l’après-midi aux personnes en « continuité », ces derniers ont passé la matinée à recevoir celles et ceux arrivés dans l’urgence qui ont demandé à les voir. Ces rendez-vous tournent beaucoup autour de la problématique de l’hébergement pour la nuit suivante. « C’est souvent la première question, rappelle Alexandre. Malheureusement, on n’a pas assez de réponse. Pour une personne qui dort ici, il y en a 4 ou 5 dehors. » Romain-Rolland est ouvert 365 jours sur 365. Le CHU fonctionne avec 27 employés, renforcés par une dizaine de vacataires. Il compte aussi un médecin permanent et, de manière ponctuelle, un psychologue et une gynécologue. 13 H 50, JOSÉ FAIT VISITER SA CHAMBRE José vit à Romain-Rolland depuis un an et a retrouvé un emploi d’agent d’entretien d’espaces verts, après avoir travaillé toute sa carrière comme serveur. Il a fait une dépression et s’est retrouvé sans logement.« Maintenant, cela va mieux, assure-t-il. Vous ne pouvez pas imaginer comme ils se sont démenés ici pour m’aider. » En attendant de pouvoir, un jour, bénéficier d’un studio social, José habite dans une « unité de vie » du CHU, au 5e étage. Cet espace comprend 5 chambres individuelles, avec un lit, un bureau et une armoire. Salle de bains et WC sont communs. « Nous sommes chargés de l’entretien », explique-t-il. Le planning du ménage est affiché dans le couloir, où résonne le son d’une guitare. C’est Dany, son voisin, qui joue une de ses compositions. 14 H 45, UN CHARIOT À REMPLIR Mathieu mène le groupe dans les rues de Montrouge. L’animateur est suivi de José, Martine et Marguerite. Munie d’un chariot, la petite troupe marche vers un supermarché. Elle doit ramener de quoi organiser un pot en fin de journée. Ce mardi est un jour spécial, c’est jour de sortie du Schmilblick, le journal réalisé par les hébergés. Cent trente exemplaires, en couleur, ont été imprimés et les 12 pages seront également affichées sur le mur du hall. Ceux qui préfèrent les activités manuelles peuvent se consacrer au jardinage ou aider Mathieu à construire avec des matériaux de récupération des palissades pour cacher les conteneurs des poubelles. Yasid (en gilet bleu) et trois résidents découvrent le nouveau numéro de Schmilblick, le journal qu’ils réalisent. 16 H 20, PIERRE-LAURENT VEUT PARLER C’était la tâche ce matin de Pierre-Laurent, qui revient d’un rendez-vous médical. Il souffre du dos. « J’ai envie de parler avec vous », insiste-t-il. Pierre-Laurent raconte qu’il a eu « un gros problème d’alcool ». Il se soigne et est en cours de stabilisation au CHU, mais n’a pas trop le moral en ce moment. « Je n’aime pas la période des fêtes », poursuit-il. Sorti de son bureau pour fumer une cigarette, Tanguy voit bien qu’il n’est pas au « top ». « Allez, garde le cap, lui répète le responsable adjoint du CHU. Il ne faut pas craquer. Cela va payer. » 16 H 55, IL EST TROP TÔT La sonnette se fait entendre à l’accueil. Stéphane n’arrive pas à se faire comprendre, via l’interphone, de la dame élégante qui a sonné. Il va lui ouvrir la porte, croyant que c’est une habitante du quartier venant donner des vêtements. C’est en fait une quinquagénaire qui ne parle pas français et tend une feuille de papier sur laquelle est inscrite l’adresse du CHU. Elle a été envoyée par les services du « 115 », la plate-forme téléphonique chargée de la répartition des places dans les différentes structures. Épaulé par Christophe, un autre animateur, Stéphane est obligé de lui expliquer que c’est trop tôt et qu’il ne peut pas la laisser entrer : « On n’a pas le choix, on n’est pas un accueil de jour. » 19 H 45, CEUX DU « 115 » SE PRÉSENTENT Cette fois, c’est l’heure. Sébastien et India, deux des membres de l’équipe de nuit, ont affiché au poste d’accueil un fax avec les noms des personnes auxquelles le « 115 » a attribué une place pour la nuit à Romain-Rolland. À chaque coup de sonnette, ils demandent par l’interphone l’identité du visiteur afin de vérifier qu’il est bien sur la liste avant d’ouvrir la porte. Le premier à franchir le seuil est Mohamed. « Bonne année, chef », dit-il aussitôt à haute voix. Comme tous ceux qui vont se présenter après lui, il peut prendre un repas chaud immédiatement ou plus tard, le réfectoire étant ouvert jusqu’à 5 heures du matin. Au menu du jour, macédoine de légumes et raviolis. Il a aussi droit à un drap jetable et un kit d’hygiène, avec brosse à dents, dentifrice et rasoir. L’équipe des animateurs du soir et de la nuit vérifie la liste des personnes qui seront hébergées pour une nuit. Les arrivées se succèdent. Les trois quarts sont des habitués, connus de l’équipe. Plus tard arrive Jacqueline, avec ses cinq valises à roulettes, ses deux sacs, son chien et son chat, aidée par un passant. Sébastien va à sa rencontre. Il est embarrassé. Elle n’est pas sur sa liste. « On va essayer de lui trouver une solution », confie-t-il. Finalement, India lui crie : « C’est bon ! » Le nom de cette femme sortie de la nuit est finalement apparu sur l’ordinateur. Les nouveaux sont accompagnés dans leur chambre. Dans l’autre sens, il y a des hommes qui repartent pour occuper un poste de veilleur de nuit ou de vigile. La moitié des pensionnaires en « continuité » travaille. Certains vivent à Romain-Rolland depuis son ouverture, faute de trouver un logement adapté à leur situation. 21 H 10, TRIOMINOS, TÉLÉVISION ET « CHARLIE HEBDO » Dans la salle de jeux, Martine s’est lancée dans une partie de Triominos, des dominos triangulaires. À côté, d’autres regardent un film américain à la télévision. Éric, lui, lit Charlie Hebdo au réfectoire, en solitaire. Avec son écharpe impeccablement nouée autour du cou, il a l’allure d’un étudiant attardé. Il en sourit : « Cela fait dix ans que je ne suis plus étudiant. » Partie de baby-foot entre Mathieu, animateur, Pierre-Laurent et un autre résident du centre d’hébergement d’urgence (CHU) Romain-Rolland. Le jeune homme a un diplôme de 3e cycle en management. Un « accident de la vie » l’a poussé à dormir d’abord dans sa voiture, puis à Romain-Rolland. « J’ai l’impression d’être en transit, dit-il. Être ici est psychologiquement violent pour moi. Je ne me sens pas supérieur, mais on ne vient pas tous du même monde. J’essaie de rester moi-même. » Des éclats de voix emplissent le hall d’entrée. « Vous voyez, ça, ça fait mal au cœur », dit Éric en tournant la tête vers l’homme qui vient d’entrer. 22 HEURES, LES MARAUDES ARRIVENT L’homme en question se prénomme Fabrice. Il a du mal à marcher et à respirer, résiste quand il doit donner la bouteille de vin caché sous son manteau. Il est le premier sans-abri de la soirée amené au centre par une maraude. Une vingtaine de places est réservée à ce service à Romain-Rolland. Fabrice est un « grand exclu » placé sous la veille sanitaire du Samu social. Une équipe mobile passe le voir chaque soir, sur son lieu de vie, un bout de trottoir parisien. Ce soir, il lui a été proposé d’aller dormir à Romain-Rolland. « Il souffre d’hypothermie », explique Amandine, la travailleuse sociale qui l’a accompagné. Javier, un des animateurs, remet des habits propres à Daniel, un habitué. Tout au long de la soirée, les « maraudeurs » continuent leur va-et-vient. Soudain, le ton monte au réfectoire. Une femme visiblement alcoolisée reproche à un homme de lui avoir volé son téléphone. Les insultes fusent, un plateau chargé de nourriture s’écrase sur le sol. Les animateurs interviennent aussitôt pour ramener le calme. « Une soirée normale », commente Angéline, la coordinatrice de nuit du CHU. 1 H 30, IL RESTE UNE PLACE Jérémy fait admirer son art du pilotage de son fauteuil roulant en multipliant les virages dans le hall. C’est le dernier arrivé. Ce SDF de 31 ans connaît bien l’adresse. « Des places pour handicapés, il n’y en a pas beaucoup », rappelle-t-il. Il a droit à l’une des trois chambres aménagées pour les personnes à mobilité réduite. Après avoir déposé ses affaires et ses peluches sur son lit, il redescend fumer dans le jardin. Pendant ce temps, l’équipe de nuit s’accorde une pause en mangeant dans la salle de télévision désormais fermée. Pour eux aussi, le menu se compose de macédoine et de raviolis, délivré par Patrick, l’agent de restauration. Angéline vient de passer à l’étage pour voir comment se porte Fabrice. «Tout va bien », résume-t-elle. Le calme règne. Les arrivées peuvent être enregistrées jusqu’à 4 h 30 du matin. Mais il ne reste plus qu’une place libre. REPÈRES – LE SAMU SOCIAL DE PARIS Le Samu social de Paris a été créé en 1993 par le docteur Xavier Emmanuelli pour aller à la rencontre de personnes sans abri et leur proposer une structure d’accueil avec des soins infirmiers. Depuis, ce modèle a été étendu à d’autres départements et à l’étranger, via le Samu social international. Les activités de cet organisme devenu un groupement d’intérêt public (GIP), qui emploie 500 personnes, se sont par ailleurs diversifiées. On peut distinguer six pôles : >Les équipes mobiles d’aide : les « maraudes » en camionnettes sont composées chacune de trois personnes (un chauffeur, un travailleur social et un infirmier). Au nombre de cinq à neuf selon les périodes, elles sillonnent la capitale. Le dispositif a été complété par une maraude de jour. >L’accueil de jour : l’Espace solidarité et insertion (ESI) offre des services de première nécessité dans la journée (douche, buanderie) et des activités. >L’orientation : le Samu social de Paris gère le 115 à Paris, une plate-forme d’écoute téléphonique qui oriente vers les solutions d’hébergement, et le volet urgence du service intégré de l’accueil et de l’orientation (SIAO). >L’hébergement : le GIP gère quatre centres d’hébergement d’urgence et une pension de famille. Il a aussi mis sur pied un pôle hôtelier qui peut réserver des chambres dans 550 hôtels de toute l’Île-de-France. Ce système a été complété par le Bus espace enfants parents (BEEP) pour aller vers ce public parfois très éloigné de Paris. >Le pôle médical : le Samu social de Paris dispose de 170 lits halte soins santé (LHSS) répartis dans six centres, pour des soins à moyen terme, et 25 lits d’accueil médicalisé (LAM), pour des maladies chroniques. Enfin, une équipe mobile a été déployée pour lutter contre la tuberculose. >Les études : le Samu social dispose aussi d’un observatoire qui publie régulièrement enquêtes et analyses. Pascal Charrier Photos : SIMON LAMBERT/KAIROS/HAYTHAM POUR LA CROIX © Crédits Photos & Source : la-croix.com Partager : Articles similaires